Dans un environnement où la population n’a quasiment rien, la jalousie peut prendre des proportions importantes, dont les conséquences peuvent aller jusqu’à la mort.
Un matin, en me levant avec le soleil vers les cinq heures, je remarque le chef et Warimisa qui dépècent deux chèvres. Normalement, manger de la viande est associé à une occasion particulière comme un mariage, une femme enceinte, etc. Je demande quelle est donc cette occasion. On me répond simplement qu’elles ont été trouvées mortes cette nuit. Pas question de perdre la viande. Quand j’essaie de savoir de quoi elles sont mortes, on me répond qu’on ne sait pas.
Après un mois à ne manger que du porridge de maïs, je suis à la fois très heureux de récupérer un peu de force avec des protéines mais aussi un peu stressé par la réaction de mon estomac. Comme d’habitude, la cuisson se décompose en deux phases. Pendant la première, on fait griller les côtelettes. Un vrai régal. La deuxième dure toute la journée. On fait bouillir la chèvre dans l’eau et on la mange au fur et à mesure de la cuisson.
Assis sous notre arbre par quarante degrés à l’ombre, au lieu de reprendre des forces, je sens une grosse fatigue me tomber sur la tête. Je ressens la chaleur comme jamais malgré la fraicheur de la soirée qui arrive. Très vite je préviens tout le monde que je dois aller me coucher. Je ne me lèverai que quarante huit heures plus tard.
L’inquiétude dans le village est à son comble. Les femmes passent régulièrement dans ma hutte pour voir comment je vais. Le chef m’apporte des mixtures qui ressemblent à des poudres pour la digestion. Mbatanga, enceinte, ne se sent pas très bien non plus et Waponwa dort aussi beaucoup.
A mon réveil, tout le monde est heureux. Pour fêter ça, on m’offre un morceau de viande qu’on m’avait gardé pour reprendre des forces. Impossible de dire non. La valeur de cette viande est trop importante pour refuser. Heureusement, les symptômes ne sont pas revenus. Je n’apprendrai que plusieurs semaines plus tard que les chèvres avaient été empoisonnées par les voisins jaloux de ma présence. J’ai été le plus touché parce qu’il s’agissait d’une première ingestion. Les côtelettes grillées n’avaient pas eu le temps de tuer le produit alors que la cuisson longue l’avait désactivé.
J’ai d’abord été évidemment très en colère d’avoir subi une agression. Puis j’ai réussi à intégrer les conséquences compréhensibles de ma présence, malgré mes précautions. Comment en vouloir à des personnes qui voient un village bénéficier de quelques avantages sans aucune raison ?
J’ai compris que le monde n’est pas manichéen. Le village responsable n’a certainement rien de différent de mon village. La frustration et les difficultés de leur vie les ont amenés à agir de cette manière. Je ne peux oublier que je rappelle les ravages que les différentes « colonisations » occidentales ont provoqué sur ces peuples.
J’ajuste donc mon comportement face aux agressions que je peux subir. Pas de contre-attaque, mais de grands signes de respect et d’écoute. Sans jamais forcer la relation. En prenant le temps que l’on m’offre plutôt que de demander.