L’hiver est beaucoup plus difficile à vivre, aggravé par l’erreur de Sakona et la perte des réserves de graines. Il nous arrive de n’avoir qu’un seul repas par jour, constitué uniquement du porridge. La sécheresse s’accentuant, le lait n’est pas très abondant. Il faut donc rentrer dans un fonctionnement lent en attendant les beaux jours.
Je vis mes moments les plus difficiles. Mon corps s’adapte difficilement à ce manque de nourriture. Fragilisé, le froid des nuits est une torture. J’accumule les couches de vêtements. Mes doigts s’assèchent jusqu’à ne plus pouvoir utiliser mon index droit, trop gercé. J’atteins un grand niveau de fatigue sans pour autant perdre ma motivation.
Ce rythme connecté à la nature a donc des répercussions sur la gestion du temps. Après trois mois à n’utiliser que mon vélo, je décide d’acheter une voiture. Je promets aux enfants de les amener à l’école en voiture le lundi matin. Le dimanche soir, je demande à Mandu à quelle heure nous devons partir. Il lève le doigt et pointe le haut de la cime des arbres en me disant «quand le soleil sera par là». Sourire intérieur, je convertis en six heures du matin. Finalement nous partirons deux heures plus tard…
Une autre après-midi, à l’ombre de notre arbre, Mémé me demande à quel mois correspond cette luminosité. J’ai du mal à comprendre la question. Je lui dis que nous sommes en avril. Etonnée, elle me dit «oh, je pensais qu’il s’agissait d’une lumière de mars».
Un peu plus tard, lors de mon apprentissage de la langue je découvre que le mot muhuka traduit par «demain» veut en fait dire demain ou après-demain ou après-après-demain. Finalement, je le traduis maintenant par «plus tard».
La planification est donc une mission impossible. Se fixer un objectif en se levant le matin est synonyme de cauchemar. Il y a toujours quelque chose qui s’y oppose, que ça soit humain ou technique : la voiture ou le vélo qui «lâche» par exemple. Une personne qui devait venir et qui ne vient pas. Une botte d’herbe et des briques pour construire ma hutte qui disparaissent. Ou les gens qui n’ont plus envie ou qui ont disparu.