Mais ma principale question n’a toujours pas obtenu de réponse. Avant mon départ, je me demandais comment deux cultures si différentes pourraient cohabiter. En fait, la question était mal posée. La vraie question est comment quelqu’un qui peut tout s’acheter peut cohabiter avec des gens qui n’ont rien.
Dans mon cas, il s’agit de la nourriture. A ma première visite, Mémé m’avait invité à partager un repas. Excitation mélangée à un certain stress intestinal… Connaissant leur manque de nourriture, il m’était impossible d’imaginer consommer leurs maigres ressources pour les repas suivants. J’ai donc anticipé tous les repas en cuisinant de mon coté pour éviter d’être invité à chaque fois. Mais encore une fois, comment peut-on manger le contenu de sa boite de conserve à dix mètres du village qui ne mange pas à sa faim ? Je décide donc de ne plus manger. Evidemment, pas la bonne solution non plus. J’essaie une autre technique qui est d’acheter en trop grande quantité pour moi seul. J’ai la chance d’avoir un petit appétit. Je coupe une petite tranche de corned-beef et à la fin de mon repas j’apporte le reste autour du feu sacré. Un jour, je leur prépare des popcorns. Une expérience extraordinaire avec mon petit réchaud à gaz – les enfants se demandent d’où sortent les flammes – et les femmes effrayées par le bruit du maïs qui explose dans ma casserole.
Le point de bascule intervient le jour où je dois aller à la capitale trouver une pièce de rechange pour mon vélo. Dans le township, j’ai trouvé un fournisseur de viande séchée et je ramène un énorme carton qui nourrira le village pour plusieurs jours. A partir de ce jour, Mémé ne m’a plus laissé le choix et m’a convié à tous les repas. J’ai ensuite pris l’habitude d’acheter du poulet et des pommes de terre une fois par semaine pour tout le village. Notre équilibre était trouvé et le malaise a disparu.
Dès que j’achète quelque chose à partager, on m’apporte des fruits que j’aurais été incapable de trouver moi-même dans le bush. A leur demande, je montre des photos de ma famille et de mon pays, et eux m’apprennent à marcher au milieu du bush en suivant les consignes de sécurité. J’apprends à donner ce que j’ai en toute assurance de ne pas manquer.
L’équilibre se crée et je m’immerge dans ce monde. Nos différences apparentes s’estompent pour ne finalement garder que ce qui fait de nous une seule et même entité qui est notre humanité.
Leur nudité ne m’apparait plus comme remarquable. A mon grand regret, l’odeur de leur onguent que j’aime tant humer le soir autour du feu sacré s’estompe.
A force, on m’appelle le himba blanc. On me propose de me faire enlever les quatre dents du bas, en signe d’appartenance à la communauté. Au passage, on me demande aussi si la circoncision m’intéresse. Le ton reste à la plaisanterie mais je sens bien que ça ferait plaisir à tout le monde. J’avoue y avoir songé quelques secondes, mais ma lâcheté m’a sauvé…