On m’avait prédit un retour « difficile ». Mais au fait, ça veut dire quoi « difficile » ?
Les vendredis sont ma bulles d’oxygène.
Avant de partir un an en Afrique pour partager la vie des populations locales, on m’avait prévenu « le retour va être dur, tu verras ». A mon retour, on me dit « pas trop difficile de rentrer ? ». « Difficile » ? Que se cache-t-il derrière ce mot ? Les gens qui s’en inquiétaient n’en avaient pas la réponse, juste le sentiment. Comme moi d’ailleurs. J’attendais simplement de voir ce qui serait si « difficile ».
Mon retour a été plutôt agréable. Moment privilégié avec la famille alors qu’elle avait été confronté à la maladie pendant mon absence. Moment idyllique au moment d’intégrer une toute petite maison que ma famille m’avait installée durant mon absence. Quitter famille, amis, lieux de vie, habitudes et confort n’est pas évident. Savoir que j’aurai un endroit où poser mes affaires à mon retour m’a beaucoup aidé à franchir le pas.
Et puis les semaines sont passées. Il y a 18 mois j’étais parti malgré une tendinite très handicapante à l’abducteur gauche. La douleur ne m’a pas quitté de l’année, limitant mes capacités. Je l’ai intégré parmi les contraintes du voyage. A mon retour, il a fallu prendre le sujet au sérieux. La tendinite était en fait une double hernie discale. Sous anti-douleur puissant, j’ai alors commencé à vivre ce que chacun appelait un « retour difficile ».
Malgré ça, je me considère très chanceux. Grâce à un cousin qui a joué un rôle important dans ma vie ces derniers temps, je rencontre un éditeur qui accepte immédiatement de travailler sur le témoignage de ma virée africaine. Ni mon cousin ni moi pensions que de cette rencontre ressortirait un contrat, des engagements et un roman graphique. Je ressens un effet de la magie africaine où le meilleur jaillit de l’imprévu.
Mes vendredis sont donc consacrés au travaille sur le roman graphique ou … pas du tout. En fait, ils représentent mon espace de liberté. Mon espace temps je veux dire. Le plus difficile au retour d’un dépaysement aussi important que j’ai pu le vivre, est de retourner dans le système temporel occidental. « Maintenant que tu as réalisé ton rêve, que vas-tu faire ? ». « C’est bien ce que tu as fait, mais où te vois-tu dans cinq ans ? ». « Tonton, c’est quoi ton métier ? ». Autant de question auxquelles je ne veux pas répondre ; auxquelles je ne dois pas répondre. Sinon, tous mes efforts pour sortir la tête de l’eau seraient vains. Il faut donc trouver les stratégies pour y parer. Trouver les bonnes réponses qui ne font pas trop « il se prend vraiment la tête après avoir pris un an de vacances ». « Vacances ». J’ai autant de mal à entendre ce mot associé à mon année que d’entendre les gens me raconter leur voyage de deux semaines où ils se sont tellement sentis dépayser. Je n’en veux à personne, je me sens juste décaler. Et c’est peut-être ça la réponse au mot « difficile ».
La pire sensation de décalage revient quotidiennement du lundi au jeudi. Les jours où je ne suis donc pas libre. A la demande d’un de mes anciens professeurs à qui je dois beaucoup, j’accepte de travailler pour son laboratoire. Il travaille depuis de nombreuses années sur des technologies qu’il aimerait valoriser dans le monde de l’entreprise. En d’autres termes, il s’agit de ma vie « d’avant ». Après un doctorat j’ai créé une entreprise innovante. Les liens avec les laboratoires étaient importants. En tant qu’entreprise, j’ai pu faire de la valorisation efficace. Pour ce travail, on me demandait d’être du coté du laboratoire et d’inciter les entreprises à contractualiser. Malheureusement, cette mission me projète au milieu de tout ce que j’ai voulu quitter en partant. Individualisme, utilisation de la technologie à des fins de renforcement du système de consommation, … En signant mon contrat, j’ai eu l’impression de prendre 6 mois de prison ferme. Je n’avais pas tord.
Retrouver la télévision et l’environnement médiatique est également un défi. Je reviens au moment de la pire vague d’attentat que la France n’ait jamais connu dans notre époque contemporaine. Les médias s’en donnent à coeur joie. Le soir même des attaques, on fait parler des témoins. Que peuvent-ils dire d’autre que « c’est terrible » ? A la radio et sur les chaines télé, on tourne les même messages en boucle « horreur », « catastrophe ». La vie politique nous assène une démonstration de la pauvreté de leur engament envers la France. « Qui avait la responsabilité de mettre un plot en béton sur la promenade des anglais ? ». La bataille entre un gouvernement logiquement dépassé et des élus locaux certainement autant fautifs ne trompe personne. Chacun récupère les faits à leurs convenances. On évite les vrais débats de société pour s’attacher aux ambitions personnelles en prévision des prochaines élections.
Non, je ne peux pas entendre que le peuple français est résilient. Pas maintenant. Les derniers événements sont durs, inacceptables. Cela ne fait aucun doute. Mais non, malgré cela nous restons encore un pays insouciant. Il ne s’agit évidemment pas d’une compétition à dire qui est le plus opprimé ou le plus à plaindre. Mais tant que nous n’avons pas conscience de la chance que nous avons à vivre dans notre environnement, nous aurons des difficultés à faire face.
Finalement, ce qui est « difficile » est peut-être le sentiment de vide. Vide d’activités qui ont du sens. Vide de sens tout simplement. Mon retour dans la tribu africaine est prévu prochainement. J’ai un appétit renforcé pour me sentir vivant. Découvrir d’autre modes de vie. Rencontrer des peuples ou communautés soumis à des défis qui me sembleraient impossible à relever. En 2017, mon engagement dans une ONG humanitaire n’est ni « audacieuse » ni « surprenante » comme on me l’a dit. Je ne me vois rien faire d’autre. Mon engagement est d’une logique implacable ; celle que le sens de « mondialisation » devrait avoir, c’est à dire que les peuples privilégiés puissent venir humblement en aide aux peuples démunis.